Maisons des abeilles @ Bees's house

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Je fus pris d’une grande ferveur pour construire leurs maisons. Des heures, des jours, des mois à
étudier
leurs comportements, trouver l’architecture de la ruche qui offrira un juste compromis entre leur
mode de
vie et mes intérêts.
Ce fut l’abbé Warré pour les plans, le frère Adam pour les abeilles Buckfast, le tout installé dans
le
jardin de l’ancien presbytère de Redu transformé par nos soins en lieu de vie d’artiste et en
savonnerie
afin d’obtenir le nécessaire pour vivre financièrement mieux qu’un saltimbanque.
Venant d’une scierie locale en voie d’extinction, je coupai, je rabotai, je ponçai du bois de mélèze
massif,
ça au moins c’est balèze pour se protéger des intempéries assez conséquentes en Ardenne. De la
poudre
d’argent en guise de peinture pour que le soleil avec ses rares journées chaudes d’été ne fît pas
fondre
leurs rayons de cire. Tenons, mortaises, ça tiendra des siècles !
Une signalétique pour chaque maison. Géométriquement parfaits, de couleurs simples, des repères
visuels
auxquels elles ajouteront leur empreinte olfactive pour reconnaître leurs couvins et leur mère quand
elles
reviendront charger de leurs douceurs florales. Alchimistes dans l’âme, elles transformeront ce
nectar en
miel pour pouvoir passer le dur hiver et espérer être réchauffées à nouveau par le soleil
printanier.
Paré d’un équipement d’apiculteur digne d’un cosmonaute venu d’ailleurs, j’atterrissais avec elles
dans ce
monde qui finalement les tuera.
Elles ne sont pourtant pas belliqueuses. Elles se nourrissent en fécondant l’autre. De la cire,
sueur de
leurs corps, elles font leurs nids, pas étonnant qu’elles aient vécu des millions d’années… pour
l’instant.
Et oui, car mon voisin, agriculteur moderne, pris d’une autre ferveur celle d’être maître de la
Nature et
esclave de son banquier, eut la bonne idée pour améliorer ses rendements afin de payer ses crédits
de
pulvériser un tue-la-vie sur ses framboisiers en fleurs.
Elles n’ont vécu qu’un été, toutes mortes à l’entrée de leurs maisons. Je n’ose penser où ont fini
les
cueilleurs de framboises, citadins en quête de nature vivifiante. Chez le médecin, le croque-mort ou
sur les
chiottes avec une bonne chiasse. Évidemment, ils ne feront pas le lien et ça fera les affaires du
PIB.
Il me restera comme souvenir d’elles les photos de l’installation « Maisons des abeilles » et la
peine
qu’elles n’eussent pas survécu. Et moi, et vous, survivrons-nous à cette folie ?
Julien Salvado